Utilisation des pesticides dans le maraichage : un danger pour l’environnement et la santé publique

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La production maraichère prend de l’ampleur ces dernières années au Burkina Faso et permet de juguler un temps soit peut le problème l’insécurité alimentaire qui y est d’actualité. Ces résultats, aussi satisfaisants soient-t-ils, riment néanmoins avec une intensification de l’utilisation des pesticides, aussi bien dans le processus de production que dans celui de la commercialisation des produits maraichers .Dès lors que leurs propriétés toxiques  sont avérées, une réflexion  s’impose sur les risques qui  pèsent sur l’environnement et la santé de la population burkinabè, du fait de l’utilisation intensive des pesticides dans ces cultures vivrières. Avant d’en exposer les dangers, il convient de situer cette pratique dans son contexte.

Contexte d’utilisation des pesticides

Le maraichage  ou horticulture maraichère est la culture de légumes, de certains fruits, de certaines fines herbes et fleurs à usage alimentaire, de manière professionnelle, c’est-à-dire dans le but d’en faire un profit ou simplement d’en vivre, ce qui le distingue du jardinage.

 Au Burkina Faso la culture  maraichère s’est développée au fil des ans. Constituant – pour l’essentiel de sa production – une culture de contre-saison, elle se pratique à travers toutes les régions du pays et généralement  en milieu rural. De façon générale et cela à travers toute l’étendue du territoire, la maraicherculture utilise les surfaces jouxtant des écosystèmes aquatiques naturels ou artificiels, lotiques (écoulement d’eau permanents ou temporaires tel que les rivières, fleuves et ruisselets)  ou  lentiques (eaux stagnantes tes que les lacs, marres, lacs de barrages, étangs).

 Elle concerne environ  22 spéculations dont les plus importantes sont la tomate, le choux, la pomme de terre, la  salade, la courgette, l’aubergine locale, le poivron, l’haricot vert… Des milliers  d’acteurs directs sont impliqués dans cette activité et  peuvent être répartis entre d’une part, les maraichers qui assurent la production et d’autre part, les commerçants dont le rôle est d’écouler la production maraichère. Une grande partie de cette  dernière est destinée à l’exportation dans les pays voisins tels que le Ghana où la demande est de plus en plus forte.

La production maraichère est  cependant confrontée à un problème crucial : l’œuvre destructrice des nuisibles qui, chaque année, sont responsables de la perte de grandes quantités de production (frisant parfois un taux de destruction de 50%). Cela a pour conséquence la baisse des rendements et une diminution considérable du profit des différents acteurs. Pour faire face à ce fléau, l’utilisation des pesticides chimiques apparait comme la seule alternative pour sauver les productions et accroitre les rendements.

Les pesticides utilisés en maraichage

 Les pesticides sont des substances chimiques, naturelles ou de synthèse, destinées à lutter contre les parasites végétaux et animaux nuisibles aux cultures et aux récoltes. Ils sont utilisés  dans le maraichage aussi bien dans la phase de production que dans celle de la commercialisation (transport, stockage des produits). Ils agissent chimiquement sur des effecteurs qui sont souvent impliqués dans des fonctions vitales ou dans la reproduction. Ils perturbent la signalisation nerveuse ou hormonale, la respiration cellulaire, la division cellulaire ou la synthèse de protéines, permettant ainsi le contrôle efficace du nuisible.

Selon leur cible, les pesticides les plus  utilisés dans ce secteur peuvent être répartis en trois principaux groupes. Le premier est celui des insecticides qui sont destinés à la lutte contre les insectes. Ils interviennent en les tuant ou en empêchant leur reproduction. Ce sont souvent les pesticides les plus toxiques et c’est dans cette famille que l’on trouve la plupart des polluants organiques persistants, dont le DDT et le lindane. Les fongicides constituent le second groupe et sont destinés à éliminer les moisissures et parasites fongiques des plantes. Le troisième est constitué des herbicides destinés à lutter contre certains végétaux entrant en concurrence avec les plantes cultivées. Le mode d’épandage de ces derniers est différent puisqu’ils sont déposés directement sur le sol, tandis que les deux premiers (insecticides et fongicides) sont plutôt pulvérisés sur la plante en croissance.

Parallèlement, la composition chimique des produits phytosanitaires est  très variable. Parmi les pesticides de synthèses – puisqu’ils sont les plus utilisés – figure la famille les organochlorés qui, surtout utilisés comme insecticides, demeurent les plus persistants. Viennent ensuite  les organophosphorés qui sont des  insecticides moins persistants que les précédents. Les organoazotés quant à eux sont principalement des herbicides et peuvent être repérés par le suffixe « zine ». De même, les urées substituées (herbicides et fongicides) sont repérables par le suffixe « uron ». Enfin, les carbamates (fongicides et insecticides) et les sulfonylurées (herbicides) peuvent compléter cette liste qui est bien loin d’être exhaustive.

En tout état de cause, les pesticides tels que présentés jouent un rôle très important – et cela de façon indéniable – dans la protection des cultures maraichères aux Burkina Faso. Leur utilisation permet de freiner les ravages des nuisibles, d’accroitre les rendements et constitue  un moyen d’atteindre les objectifs de souveraineté alimentaire. Cela ne doit cependant pas faire occulter le fait que, aussi efficacement que ces produits phytosanitaires ont un effet toxique pour les nuisibles, les substances qu’ils contiennent peuvent impacter négativement l’environnement et la santé publique.

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Risques pour l’environnement

Les pesticides contiennent des substances chimiques de toxicité diverses. Le Burkina Faso dispose à cet effet des nombreux textes juridiques qui  les encadre dont la loi N° 041/96/ADP du 08 novembre 1996 et modifiée à travers la loi N° 006/98/AN du 26 mars 1998 instituant un contrôle des pesticides au Burkina Faso. Malgré tout, il est donné de constaté sur le terrain une utilisation  de pesticides frauduleux par les maraichers, lesquels contiennent des substances interdites même si l’on constate plus fréquemment que les pesticides destinés à la culture du coton (culture de rente) sont utilisés dans des cultures vivrières tel la maraicherculture,  exposant ainsi l’environnement et la santé publique à la toxicité de ces produits.

L’utilisation intensive des pesticides dans les cultures maraichères impacte l’environnement, tant dans ses composantes biotiques (biodiversité animale et végétale) qu’abiotiques (air, eau, sol). L’accumulation de ces substances dans les sols altère la qualité de ceux-ci (acidification, baisse de la fertilité). Les écosystèmes aquatiques n’échappent pas non plus à cette pollution. En saison pluvieuse le ruissellement emporte 2% à 10% d’un pesticide appliqué sur le sol (Leonard, 1990 ; Schiavon et al. 1995) en destination des points d’eau qui constituent les réceptacles des pollutions terrestres. De plus, les produits  maraichers sont généralement cultivés sur des surfaces jouxtant les écosystèmes aquatiques. Ces polluants se retrouvent donc facilement dans le milieu aquatique, d’autant plus qu’en périodes de crue, les lits de ces points d’eaux sont transformés en surfaces de production par les maraichers. Si l’eau est une ressource rare au Burkina Faso, il convient de d’affirmer que la pollution des eaux, elle,  s’accentue avec cette pratique.

 L’atteinte à la biodiversité est par ailleurs évidente, pour peu que l’on considère les interactions qui existent entre les êtres vivants et leur milieu. De par leur emploi, généralement en circuit ouvert  et de par leur capacité à se disperser au-delà de la cible visée, les pesticides constituent un risque pour les organismes « non cibles ». Il n’existe pas de pesticide totalement spécifique pour un nuisible. Les organismes vivants partagent, quel que soit leur rang taxonomique, des processus et mécanismes physiologiques partiellement communs. Par conséquent, un pesticide, destiné à lutter contre un nuisible, présente un potentiel toxique plus ou moins étendu pour d’autres organismes qu’il ne cible pas. Ces substances toxiques affectent les organismes vivants en contact avec le milieu pollué. Elles causent des intoxications  pouvant conduire à la mort des lombrics qui jouent un rôle majeur dans l’aération des sols. En sont également victimes, les animaux terrestres qui s’abreuvent dans les eaux contaminées et à plus forte raison les animaux aquatiques (poissons, batraciens…). Aussi, les végétaux terrestres et aquatiques subissent-ils cette contamination  lorsque que l’on tient compte des phénomènes de bioaccumulation.

L’utilisation intensive des  pesticides chimiques pollue donc immanquablement l’environnement (Ramade, 1992 ; Toe et al. 2004) et cela, à travers toutes ces composantes. La plupart d’entre eux contiennent des polluants persistants qui ont une demi-vie dans l’environnement. L’homme, bien qu’auteur de cette pollution, n’y échappe pas, puisqu’il est un élément de l’environnement, d’où les dangers potentiels qui pèsent sur sa santé.

Risques pour la santé humaine

 La santé humaine est véritablement menacée par l’usage de ces pesticides chimiques et en premier lieu, celle  des utilisateurs de pesticides. En effet, les producteurs et les commerçants en font usage les uns pour sauvegarder les cultures, les autres pour stocker et conserver les produits maraichers en attente d’écoulement. La manipulation et l’emploi inadéquats de ces substances peut entrainer à très court terme (heures, jours) des troubles de santé. Ces troubles, le plus souvent reliés au même mécanisme mis en jeu par le pesticide dans son action contre le nuisible, sont regroupés sous le terme d’intoxications aigues. Dans certains cas, ces troubles peuvent se manifester à moyen  terme, en particulier en cas d’expositions répétées. Le profil toxicologique aigu de la plupart des pesticides est assez bien connu (V. Heath Impacts of Pesticides Used in Agriculture, World Heath Organization 1990).  L’imprégnation de la population générale quant à elle, est essentiellement d’origine alimentaire via la consommation des produits maraichers, des eaux contaminées, et des poissons, viandes, lait et produits laitiers par suite de la bioconcentration de ces molécules toxiques dans les graisses animales. Les résidus de pesticides se retrouvent régulièrement dans l’organisme humain et causent à long terme de sérieux problème de santé. Les études épidémiologiques montrent les effets à long terme des expositions aux pesticides sur la santé, y compris à des faibles doses d’exposition (Centre d’expertise collective de l’Inserm, juin 2013). L’exposition aux pesticides facilite le développement de certaines pathologies. Il a été prouvé que ceux ci étaient capables d’endommager le système immunitaire (Culliney et al.,1992) ou de perturber les régulations hormonales, tant chez l’homme que chez l’animal, provoquant des symptômes variés (Leblanc, 1995), d’où l’expression « perturbateur endocrinien » souvent utilisé pour qualifier les pesticides. Outre les cancers qu’ils favorisent, ils endommagent le système nerveux et causent des pathologies en lien avec les troubles de la reproduction et les malformations congénitales: infertilité, avortement spontané, prématurité et mort fœtale.

Les dangers que représentent les pesticides pour l’environnement et la santé humaine sont donc réels et doivent par conséquent nous amener à revoir nos techniques de production. Nous devons intégrer  dans les contraintes de production maraichère et agricole en général, la dimension écologique, toute chose qui aura pour effet l’amélioration de la santé des populations et la préservation de l’environnement.  La sensibilisation, le contrôle effectif   et la promotion de bio pesticides sont entre autres des actions qui pourraient contribuer à protéger davantage les victimes innocentes que sont les consommateurs. Les consommateurs sont en réalité les plus brimés parce ce qu’ils n’ont pas choisi d’être exposé à ces substances toxiques. Puisqu’aucune distinction n’est possible sur le marché entre les produits traités aux pesticides et les « produits bio », le consommateur, en achetant innocemment ses fruits et légumes, cours le risque de concentrer des résidus de pesticides toxiques dans son organisme avec toutes les conséquences qui en découlent.

Le droit à une alimentation saine  est sans doute un droit constitutionnellement reconnu aux populations burkinabè, mais encore faut-il que celles-ci aient le choix de la qualité des aliments qu’elles achètent. Il est donc de la  responsabilité des pouvoirs publics, d’ouvrer à garantir aux citoyens une alimentation saine, en leur offrant au moins en lui une liberté quant au choix de la qualité de leur alimentation. Cela pourrait se manifester dans la pratique par la promotion de la production des « produits bio », disposant de points de vente spécifiques sur les marchés, les plaçant ainsi l’abri de toute confusion avec les produits « non bio ».

Valério COULIBALY

Membre du Cadre d’Action des Juristes de l’Environnement

valeriocoulibaly13@yahoo.fr ou cajeburkina@yahoo.fr